la femme tortue

Le bruit sec des matsot qu’on partage

C’est un choc pour Lébana de découvrir à 56 ans qu’elle est petite fille de juifs déportés et gazés à Auschwitz. Seule sa mère en a réchappé. Comment passe-t-on brutalement de spectateur à acteur du drame ? L’état schizophrénique de la révélation permet à Lébana – sous le coup du choc – d’interroger sa vieille mère avec la distance conférée par un demi-siècle vécu à l’extérieur d’une culture. Rachel, sa mère, survivante expulsée de sa réalité juive, éduquée à mentir sur son identité pour survivre sous L’occupation a bâti sa vie d’adulte sur ce mensonge qu’elle a perpétré par sécurité. Mais la fidélité au clan lui a soufflé de laisser des « traces » de son ascendance. Même entourée de l’affection de ses amis, Lébana ne tarde pas à succomber à des émotions violentes alors que se déploie devant elle son histoire familiale réelle. Elle avance de surprise en surprise vers la renaissance de son passé englouti en interrogeant frère et sœur puis en taraudant la mère. Le spectateur assiste à une série d’échanges âpres – parfois frisant l’interrogatoire de police - entre Rachel et ses enfants soucieux de revisiter ce passé dénié. Entre chaque scène de dialogue, intervient l’écrivain de la mémoire, accompagné d’une voix off qui n’est autre que celle d’Ha Schâtân dessinant le jeu de la déshumanisation. Ces deux personnages officient à la manière du chœur de la tragédie antique.

la pièce a été créée en 2012 dans une mise en scène de l’auteure à La Forge de Portets (33) puis reprise en 2013 aux Carmes de Langon, avec les comédiens amateurs de Théâtralie, désireux de porter ce texte à la connaissance du public.

un petit mot sur la porte

Dans Le bruit des matsot qu’on partage la fiction est resserrée autour d’un événement réel cauchemardesque dont personne ne s’est encore complètement relevé en Occident. Le Génocide des juifs est l’accomplissement méticuleux du Mal. Dans les quinze ans à venir les survivants ou enfants des survivants se seront éteints. Aussi j’ai voulu inscrire cette pièce dans un renouvellement de la mémoire. Née après la guerre, j’ai été traversée, de l’enfance à l’âge adulte, par des bribes de témoignages, des tentatives hasardeuses d’explication par les témoins anonymes de ce temps, des silences aussi, lourds de culpabilité ou plus simplement de honte. Cette pièce s’appuie sur les faits historiques sans la moindre concession. Elle invite chacun d’entre nous à explorer sa propre mémoire familiale pour mieux appréhender la mémoire collective. Mais surtout j’ai voulu insister sur le fait que le génocide des juifs est d’abord le résultat d’un antisémitisme millénaire, banalisé et répandu dans l’Europe entière… En termes crus : Hitler a joué sur du velours pour mettre en place sa « solution finale ». Il s’est appuyé sur les ressorts de la haine ordinaire de l’étranger celui qui ne me ressemble pas, ne mange pas comme moi, ne va pas à l’église… bref la vilénie commune. Dans ces temps dits « de crise » où les antagonismes se réveillent avec la tentation de désigner un bouc émissaire (les Roms en savent quelque chose), il est bon de rappeler les mécanismes inconscients de la haine aboutissant à l’assassinat collectif. Car l’antisémitisme malheureusement est toujours bien vivant.


"Le bruit sec des matsot qu’on partage" cherche son éditeur.